Émilien Adage
Résidence sémaphore #31
Résidence de repli, en lien avec le contexte du sémaphore du Créac’h à Ouessant.
Ouessant
Résidence sémaphore #31
Résidence de repli, en lien avec le contexte du sémaphore du Créac’h à Ouessant.
Les montagnes n’ont pas la même allure sur l’île d’Eusa[1]. À marrée basse ce chaos de blocs empilés ne mesure qu’une vingtaine de mètres, mais cette étrange cohue pétrifiée apparaît plus pittoresque[2] que dans les Alpes. Depuis sa tour de contrôle rouge et blanche, Spartacus Paysio évalue la puissance des vagues. Si une sortie est possible, il transportera ses assemblages colorés au milieu des rochers. Les teintes minérales foncées sont très variées, seules quelques oasis saturées de champignons, lichens et algues ponctuent ces reliefs.
Un grondement sourd vibre dans le bâtiment, ce sont les tambours des rochers provenant des souterrains. Il est dit qu’un tunnel de grottes parcourt l’île de part en part : le Bougué.
Spartacus est seul, il voyage autour de sa cuisine, gravit des escaliers en chaîne, écoute les sifflements du vent, observe le rythme lumineux du soleil nocturne du Créac’h. Les journées intérieures ont parfois l’air d’une boucle de Phénix[3]. À l’extérieur il explore les failles, retourne les pierres, fouille la grève.
Pas de pierre de foudre[4] ni de patelle de bronze[5] mais des dons de providence[6] : une casquette en verre poli, des bouées, flotteurs et morceaux de plastiques fluo rejetés par les vagues. Ces matières usinées à plusieurs reprises par l’homme et la nature se trouvent une dernière fois retouchées. Spartacus creuse les surfaces lisses pour créer des motifs ramifiés et assemble instinctivement les éléments autour de lui (ligne de pêche, flotteurs, plombs, cordelettes, ustensiles de pêcheurs, baguettes de bois, pâte à truite…).
De petites constructions prennent place au centre d’une nature dont l’échelle nous échappe. Une casquette en voile de bateau flotte sur un lac caverneux, une tête bleue coiffée d’une balise en équilibre se mélange aux pointes rocheuses. Un fruit artificiel émerge d’un ruisseau. Des instruments miniatures se déploient à la surface de l’île.
Tel un amer[7] pour alpiniste – une structure fixe et ambiguë – les sculptures de Spartacus Paysio ne semblent prendre qu’une certaine mesure de l’effervescence du paysage.
[1] Enez Eusa – l’île d’Ouessant en langue bretonne.
[2] «William Gilpin a été un des protagonistes de l’idée de pittoresque. Un terme rigoureux qui s’oppose à ce qui est lisse et introduit pour le regard un tas d’irrégularités plaisantes, rugueuses, accidentés, tordues, sinueuses, en relief.», in, La Série Documentaire, France Culture, Quatre expériences de retour à la nature – Épisode 1, 2020.
[3] Promenade champêtre dans le bois de Phénix en Dordogne avec Joël Cornuault, in, La Série Documentaire, France Culture, Quatre expériences de retour à la nature – Épisode 1, 2020.
[4] « Conservées par les ouessantins dans les maisons parce ce qu’ils leurs attribuaient un pouvoir protecteur, ce sont en fait des haches polies datant du néolithique. », in, Ouessant, l’île sentinelle, Françoise Péron, Éditions Le Chasse-marée,1997.
[5] La patelle ou bernique est un mollusque, comestible, des côtes rocheuses, à la coquille conique et non spiralée. L’une des découvertes les plus étonnantes du site archéologique de Mez Notariou à été une patelle en bronze qui témoigne d’un probable culte.
[6] « Les ouessantins récupèrent tout le matériel des naufrages. Ce sont des dons de providence. Ainsi des matières premières absentes de l’île peuvent être retravaillées et utilisées. », in, Musée des Phares et Balises, Phare du Créac’h, Ouessant, 2022.
[7] « Un amer est un point de repère fixe et identifiable sans ambiguïté utilisé pour la navigation maritime », in, article Wikipédia, consulté le 14 avril 2022.