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DÉBORDEMENTS

Retour d’expérience

(d’après interview radio à SPM la première)


“Débordements” est un projet de recherche et de création en arts visuels qui prend pour sujet d’étude la montée des eaux dans l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon et plus particulièrement sur le territoire de Miquelon-Langlade. Pour “Débordements” je me suis intéressée à la commune de Miquelon et à l’histoire des transformations récentes de l’Archipel, qui sont visibles à l’œil nu et ceci, à l’échelle de la vie des habitantes et des habitants.
Je navigue dans les temporalités successives de l’histoire et dessine le contour de la relation instable que l’homme entretient avec son environnement, notamment face à des phénomènes naturels et cataclysmiques. En résulte une recherche approfondie sur l’ambiguïté de nos rapports au visible, à ses multiples milieux et à ses temporalités mouvantes. De la vidéo à l’installation, de la photographie au dessin et à la céramique, je cultive un langage formel qui joue sur la porosité et la fluidité des formes, des médiums et des matériaux. De la Tunisie à l’Italie, de la France à la Grèce, des terres australes aux rives Méditerranéennes, j’entre en action dans le paysage. Une action assez minimale faite d’observations, de collecte de d’images et de formes, que je ramène ensuite avec moi à l’atelier. Commence alors un autre processus de travail un peu plus caché, peut-être moins sensationnel, qui est celui du découpage, de l’agencement, de la transcription et notamment de la parole de celles et ceux qui ont bien voulu me la confier. Aussi, de la transformation des images auxquelles j’associe des récits, jusqu’à l’aboutissement d’une ou de plusieurs œuvres.


Dans ma pratique, la question des déplacements se manifeste sous différents angles, tels que la mobilité, le déplacement voulu, la soif de traverser certains espaces… mais aussi de façon parfois plus contraints, à cause de frontières, de situations économiques tendues, de mutation des conditions de vies ou de transformations politiques. Pendant ma résidence j’ai pu échanger avec les habitants sur l’histoire des Acadiens et des différentes allées et venues des populations françaises plusieurs fois chassées des terres australes (le Grand Dérangement). Aujourd’hui menacé par la montée des eaux, le village de Miquelon est appelé à se réinventer et surtout à être “déplacé”. Sujet d’actualité majeur pour les habitant·es, ce déplacement cristallise à la fois espoirs et crispations face à la progressive montée des eaux et à la submersion du village.
Pendant ma résidence j’ai également travaillé sur la question de la fluidité, de l’adaptabilité, de la transmission des savoirs et des regards. L’eau aussi, joue un rôle assez important dans mon travail, parfois, elle est un instrument de partage, de transmission de la mémoire, de soin, ou bien elle est plus intense et déborde, creuse, érode. Je m’intéresse aux tempêtes et à ce que les tempêtes façonnent dans l’existence à la fois des femmes et des hommes, et puis, comment elles entrent en action elles aussi dans le paysage. Quelles traces laissent-elles, de façon plus ou moins indélébile et enfin, qu’est ce qui va rendre possible une certaine forme de résilience. C’est dans cette relation assez ambivalente à l’eau, à la fois porteuse de vie et destructrice que se construit “Débordements”.


Depuis mon arrivée je suis beaucoup partie en exploration ou en “Dévérinette” selon une expression d’ici que j’aime beaucoup et que l’on m’a confiée : du Cap à Langlade en passant par l’étang de Mirande et le Grand Barachois. Ça ne fait que quelques jours que j’ai débarqué à Miquelon mais j’ai quand même eu l’occasion d’apprécier la grande variété des paysages, les forêts boréales, les falaises rocheuses, les constructions humaines qui se mélangent à la mer lorsqu’il y a des coups de vents.


Et puis évidemment je m’intéresse à l’isthme de Miquelon-Langlade pour la beauté de son paysage, ses qualités plastiques, son façonnage par la mer, le vent, le sel et puis l’homme qui tente tant bien que mal de ralentir sa disparition. On le voit avec les ouvrages qui ont été mis en place, les sacs de sable, l’oyat, travaux d’enrochements, gabions, ganivelles, donc c’est tout cela qu’il m’intéresse de voir de capter, de documenter en quelque sorte. Et puis, l’Isthme m’intéresse pour ce que cette « langue » de terre peut représenter symboliquement et métaphoriquement. À la fois lieu de passage, une voie de communication, les isthmes en eux-mêmes appellent au mouvement, au déplacement, au lien entre deux espaces distincts, donc à l’altérité finalement. Et puis qu’est-ce qui se passe quand la communication se coupe ou tend à se couper, quel futur peut-on envisager d’un côté ou de l’autre de chaque rive, quelle possibilité de se déplacer reste-t-il lorsque ce qui permet le déplacement vient à être débordé par la mer ? Et nous séparer de l’autre. Et enfin quelle préservation, quelle prise de soin, et aussi quel attachement à cette langue de terre qui relie ces deux parties de l’archipel ?

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