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Pauline Delwaulle

France, 1988

Résidence transat #1
Résidence en solitaire de recherches et de rencontres, de l’autre côté de l’Atlantique.

JUILLET 2022
Saint-Pierre et Miquelon

Après 1h30 de traversée, je descends du ferry et retrouve mon vélo qui a fait le voyage sur le pont du bateau. Il est humide et constellé de cristaux de sel.
Petit nettoyage au tuyau d’arrosage sur le port sur conseil de l’équipage. Les passagers sont tous repartis dans des pickups. Regards curieux vers mon vélo et sa passagère.
Je traverse le bourg endormi, direction l’isthme de Miquelon-Langlade.

Miquelon-Langlade est un archipel lié à celui de Saint-Pierre, où je suis invitée en résidence. Ma maison-atelier se trouve sur une petite île en face du port de Saint-Pierre, l’Île aux Marins. Peu d’habitants sur l’île, ce sont des maisons d’été et donc sans le confort de l’eau potable et de l’électricité facile. Chaque soir, je fais le tour de l’île (environ 1km de long), et peux voir quelles sont les maisons habitées pour la nuit.
Des drapeaux sont hissés par les habitants quand ils sont là. Le drapeau pieds-rouge de l’Île aux Marins, celui de Saint-Pierre et Miquelon et celui de la région d’origine familiale : breton, basque ou normand. Le mât de drapeaux est régulièrement garni sur les maisons de Jeanine et Michou et celle du pêcheur de homards.
En cas de pépins, je peux venir toquer.
En journée, je sais que Yannick, de l’association de Sauvegarde du Patrimoine de l’Archipel, est présent.
Si j’ai un souci, j’arpente l’île à la recherche de son petit tracteur orange.
Il y a aussi Filou et Mathieu, l’équipage du bateau « le Petit Gravier », qui fait la navette entre l’île et le port de Saint-Pierre.
Le matin, si je ne suis pas sur le perron avec mon café pour les saluer lorsqu’ils passent, ils klaxonnent comme un convoi de mariage pour s’assurer que je sorte et que je leur fasse signe que tout va bien.
Je n’ai pas l’impression d’être isolée grâce à eux.

Je roule vers le Sud, vent dans le nez, comme d’habitude. Le retour sera plus agréable.
J’ai toujours imaginé cet archipel comme une sorte de chewing-gum qu’on a séparé en deux parties plus ou moins égales, dont des fils élastiques relient les deux éléments.
Sur la carte, du moins, c’est à cela que ça ressemble.
Je passe la première petite côte à la sortie du village, une grande bourrasque m’arrête net. Une pause s’impose pour mieux accrocher mon chargement et diminuer ma prise au vent.
Je roule à travers la lande, saluant de la main les pickups que je rencontre, c’est ainsi ici tout le monde se dit bonjour. On salue en tout temps celui que l’on croise jusque dans les allées du supermarché.
J’aime bien cette tradition, j’ai le sentiment de ne pas être une étrangère.
Le reportage télé sur l’île aux marins m’a permis de sortir de l’anonymat, on ne me demande plus « t’es une fille qui ? », à présent je suis « l’artiste qui a la maison bleue de l’Île aux Marins ». Mais aussi, une mayoux.
« Mayoux » : quelqu’un qui vient de « France », de la métropole.
Je ne suis plus anonyme, mais je reste celle d’ailleurs.

Je traverse l’île de Miquelon en longeant son dos rond par l’ouest.
L’humidité disparaît petit à petit, coordonnée avec la montée du soleil.
La brume se lève un peu et vient se joindre aux nuages qui forment un plafond bas.
Je peux maintenant voir loin.
Je cherche du regard l’objet de ma venue.

L’isthme apparaît brièvement. Comme une anamorphose, il disparaît dans le virage.
Je fais demi-tour pour trouver une vue pour le regarder.
Je pose le vélo et marche dans les bruyères pour prendre une photo.
Je comprends ce que je vois car j’en connais la carte par cœur, je reconnais ce paysage.
L’isthme, accumulation sédimentaire entre deux terres, cordon dunaire traversé par une piste parfois asphaltée, n’est pas si facile à voir.
C’est du ciel qu’il est le plus évident.
L’isthme est apparu il y a plusieurs centaines d’années. Sur les premières cartes de l’archipel, Miquelon et Langlade sont deux îles séparées.
Le sable battu par l’océan et le vent se déplace et se dépose doucement, tranquillement.
J’adore ce terme « migration sédimentaire ».
Les bancs de sables, dunes, s’engraissent, s’étirent et au fur et à mesure se touchent et relient ces deux îles.

Je roule sur ce passage éphémère.
L’isthme disparaît petit à petit, il s’érode. Chaque année il faut reconstruire des portions de la route qui se font arracher par l’océan. Le sable s’en va, le passage s’affine.
Un jour l’eau traversera et créera une brèche dans ce barrage sableux, séparant à nouveau les deux îles.
Le Grand Barachois, vaste étang hébergeant de multiples espèces disparaîtra lui aussi.
Le dessin que forme la terre émergée, le trait de côte est très mouvant sur cet archipel.
C’est ce qui me pousse à être ici.
Le paysage change, les habitants s’y adaptent, ils n’ont guère le choix.
L’eau sort de toute part, sur les côtés par l’océan et par le sol via les nappes phréatiques.
De grands étangs créés par les isthmes font la particularité de ces îles.
Ces longues lignes sableuses tendent des ponts entre différents endroits de l’archipel.

Le cadrage de la photo ne me satisfait que mollement, je vois l’isthme parce que je le sais là. Je tente de trouver un point de vue où on voit l’eau du Grand Barachois à l’est, l’isthme au centre et l’océan à l’ouest. Le paysage est si plat que l’isthme n’est dissociable des îles qu’à quelques endroits des deux plateaux.

Je roule vers le sud, en longeant soit l’océan, soit le grand Barachois. Je ne peux voir les deux côtés en même temps.
La route passe d’un côté à l’autre de la dune.
On passe de l’océan retenu par des enrochements, au calme d’un grand étang rempli de milliers d’oiseaux.
Ces roches, qui empêchent tant bien que mal la route de partir à la baille, sont venues depuis Saint-Pierre par barge. Une autre migration sédimentaire.
Quand je roule côté océan, j’entend les vagues s’écraser contre les rochers.
Quand je suis du côté du Grand Barachois, je perçois quelques cris d’oiseaux parmi le fracas des vagues voisines.
Il faut garder la tête face au vent sinon on entend rien du tout, si ce n’est les bourrasques qui rentrent bruyamment dans un des tympans.

La route change encore de texture, elle vient d’être réparée il y a quelques mois, elle s’était à nouveau effondrée sur plusieurs mètres.
Les rochers de rhyolite aux teintes vertes et rouges sont bien rangés, bien alignés, pas encore déplacés par les assauts des vagues.
Un géotextile blanc permet d’éviter qu’ils ne bougent trop. Une sorte de drap d’un blanc quasi immaculé recouvre ces énormes blocs. On dirait qu’ils sont endormis, sous les draps, attendant le réveil des tempêtes de l’automne. Un grand linceul blanc court le long de la route tantôt au dessus, tantôt au dessous des rochers.
Je repasse de l’autre côté.
De nombreuses ganivelles bordent les dunes couvertes d’oyats. J’ai toujours aimé ces petites barrières en bois qui semblent mal adaptées pour retenir les grains de sable mais qui sont bien efficaces. Ici comme partout ailleurs, on parque le sable pour ne pas qu’il s’échappe trop vite.
De ce côté, je suis à l’abri du vent.
Des sternes arctiques me signalent bruyamment et m’indiquent que la petite plage où je m’apprête à m’arrêter est un gigantesque nichoir.
Je roule vers le sud, longeant l’océan que je ne vois pas.

L’isthme s’élargit, il n’y a plus de dunes mais c’est tellement large que les deux étendues d’eau ne peuvent être réunies dans la même photo.
Je sais l’eau de part et d’autre de mon champ de vision mais je ne la vois pas.
Je roule sur une piste de sable et de gravier.
On peut voir les pickups arriver de loin grâce au nuage de poussière qui les suit.
Les tourbières succèdent à la lande.
Des petites maisons bordent les étangs.
Des chevaux en liberté courent au loin.
Je croise beaucoup de personnes baissées dans les dunes et les tourbières en pleine récolte de plaquebières, sorte de mûres oranges dont la confiture a le goût d’abricot.
Le nombre de maisons augmente à mesure que l’isthme s’élargit, je n’entends presque plus l’océan.

Un pickup klaxonne, je reconnais à l’arrière une partie de l’équipe de la plateforme de recherche scientifique de l’archipel. Ils sont en tenue de pêche, ils ont compté les ombles des fontaines aujourd’hui.
Je les retrouverai plus tard à la fête du homard.

Je continue la route vers le bout, le hameau de l’Anse du Gouvernement.
Personne ne vit à l’année sur Langlade, ce sont de petites maisons d’été comme sur l’île aux Marins.
La piste de gravier devient sable et je fais mon arrivée au village en poussant le vélo.
Sur la plage bordant la route, quelques enfants courageux jouent dans l’eau.
Le petit ferry qui relie Saint-Pierre à Langlade est là, en plein déchargement de sa cargaison et de ses passagers.
Il n’y a pas de quai au hameau, le débarquement se fait toujours par zodiac, en de multiples allers-retours.
Les passagers sont tous arrivés sur le sable, c’est maintenant au tour des sacs, bagages, chiens, colis, vélos….
Le zodiac est rempli à craquer, on ne voit plus le barreur. Les passagers créent une file pour décharger le bateau.
Une ligne humaine d’une quinzaine de mètres serpente sur la grève, les mains se passent les différents bagages. Le zodiac s’allège petit à petit.
Les pickups démarrent tour à tour et disparaissent dans un énorme nuage.
La plage se vide.

J’ai de la chance, aujourd’hui la pluie m’a épargnée.

Ce projet est réalisé avec la complicité et le soutien de la Mission aux Affaires Culturelles - Ministère de la Culture
Avec le soutien du Ministère des Outre-mer
Et l’accompagnement de la DRAC Bretagne - Ministère de la Culture


Projet réalisé en collaboration avec l’association Sauvegarde du Patrimoine de l’Archipel
Notre objectif est de continuer les actions de Sauvegarde du Patrimoine bati, des sites et du domaine maritime sur l’Archipel, dans le but de promouvoir l’histoire de l’Archipel
pour les habitants et pour les visiteurs de notre territoire. L’Association de Sauvegarde du Patrimoine de l’Archipel, est soutenu par l’Etat (Ministère de la Culture) et par les Collectivités locales (Mairies et Collectivité Territoriale).
À ce jour l’Association est propriétaire de 6 maisons ; 5 sur l’Ile aux Marins et 1 sur Saint-Pierre, dont l’ensemble de la maison Morel.
Site classé au titre des monuments historiques appartenant à l’association de Sauvegarde du Patrimoine qui comprend la maison du pêcheur avec sa saline, son atelier, son magasin, le fumoir, son quai avec le cabestan ainsi que la grave. Ce site est en réhabilitation historique pris en charge par l’Association de Sauvegarde du
Patrimoine de l’Archipel avec le soutien de l’Etat.
La Maison de famille sur l’Ile aux Marins qui est disponible à la location pendant la saison à des particuliers et des touristes pour des cours séjour.


MERCI !
Finis terrae et les artistes remercient particulièrement :
Martine Briand, Stéphane Claireaux, Esther Derouet, Olivier Lerch, Rosiane de Lizaraga, Henry Masson, Éric Soulier, Yannik Turpin, Marie-Annick Vigneau, l’association Les Zigotos, pour leur participation, leur écoute et leur précieux soutien.