Sara Bichão & Violaine Lochu
Résidence nomade #3
Résidence itinérante, au cours d’étapes de voyage et au cœur de contextes singuliers.
São Miguel Ouessant
Résidence nomade #3
Résidence itinérante, au cours d’étapes de voyage et au cœur de contextes singuliers.
« Ainsi semble-t-il que même les îles aiment se tenir compagnie. »[1]
Telles des naufragées, Sara Bichão et Violaine Lochu vivent un temps séparées sur deux îles atlantiques, près de rives européennes. La première, débarquée sur l’île d’Ouessant[2], découvre des matériaux vernaculaires, les légendes locales, le droit de brie[3] et l’isolement, postée dans la salle de veille du sémaphore du Créac’h qui lui tient lieu de repli. La seconde, a atterri sur l’île de São Miguel[4], dans un contexte intrinsèquement différent, où la houle et les vents sont davantage cléments et où la mer fait ressurgir des sons des profondeurs.
Se lanceront-elles dans une marche éperdue à travers ces espaces insulaires dans l’espoir de retrouver l’autre, tel Werner Herzog sur le chemin des glaces[5] ? Des signaux leur viendront-elles, à la faveur des courants ? Quelles dualité, réciprocité ou expériences communes aboutiront de ces voyages ? Une communication à distance est ainsi lancée, dans l’attente des retrouvailles.
T – Tic tac
W – Whale
I – Ignition
N – Necessary
I – Invert
S – Signal
L – Latitude
A – Antena
N – Noise ?
D – Daboecia Azorica
S – Silence.
C’est l’environnement qui au départ les sépare finit par les englober. Elles sont mangées, phagocytées par cet organisme géant imprévisible qu’est l’espace maritime, ici observé, arpenté, fantasmé. Depuis les îles elles regardent au loin. Les sens décuplés, elles se cherchent, elles ne peuvent tenir immobiles les yeux rivés sur les détails du quotidien. Elles font au contraire face au temps qui se dilate, écoutent les baleines, parlent avec les plantes environnantes, se familiarisent avec le langage nautique et abordent la spatialisation au-dessus et en-dessous de la ligne d’horizon.
Comme happées par ce temps et cet espace qui semblent s’étirer à l’infini sous leurs yeux, Violaine Lochu et Sara Bichão reviennent avec des expérimentations singulières et une collection de sons, de signes et de formes qu’elles nous transmettent par des objets fabuleux. Du silence naissent ainsi des sculptures aux formes brutes et à la fabrication instinctive. Ce corpus d’objets produits par Sara est ensuite activé par Violaine qui, par une composition vocale et chorégraphique, nous transmet des notes venues des fonds marins. En revêtant la combinaison réalisée depuis la salle de veille du Créac’h et portant les écritures d’un oracle parvenu jusqu’à nous, cet humain nous délivre leur double lecture de cette expérience vécue.
—
[1] D.H. Lawrence, L’homme qui aimait les îles, Éditions de l’Arbre vengeur, 2021, p.17.
[2] L’île d’Ouessant est située au large de Brest (France).
[3] Le droit de brie était le droit pendant l’Ancien Régime donnant la propriété des épaves et des cargaisons des navires naufragés aux iliens. À Ouessant, il reste de coutume de déposer une pierre sur l’objet trouvé et convoité. Ainsi réservé, il reste en attente d’un prochain ramassage par son propriétaire.
[4] L’île de Sāo Miguel est située dans l’archipel des Açores (Portugal).
[5] Werner Herzog, Sur le chemin des glaces, Éditions Payot et Rivages, 2009.
Ann Stouvenel
avec la complicité de
Sara Bichão et Violaine Lochu
Performance vocale, 30min, 2022, Violaine Lochu
Composée par Violaine Lochu dans le cadre du projet TWIN ISLANDS, mené parallèlement avec l’artiste portugaise Sarah Bichão, W Song s’intéresse aux signaux sonores sous-marins et au phénomène d’écholocalisation (oué colocation). Ce terme désigne la façon dont certains animaux émettent des sons pour se repérer dans l’espace et localiser les éléments de leur environnement - partenaires, obstacles, prédateurs, proies…Les technologies humaines de type sonar en reprennent le principe.
Violaine Lochu et Sara Bichãà, lors de leurs résidences parallèles, l’une sur l’île de São Miguel aux Açores (Portugal), l’autre sur l’île d’Ouessant au large de la côte bretonne (France), réfléchissent aux moyens de communiquer à distance. La présence de cétacés à proximité des Açores amène Violaine Lochu à s’intéresser à leur mode de communication. Ce système élaboré fait de clics, bourdonnements, sifflements, mugissements, leur permet de se déplacer, de se repérer, d’exprimer leur désir sexuel, voire leur place dans la hiérarchie sociale. il est indispensable à leur survie individuelles et collective.
L’écholocalisation animale, notamment celle des grands mammifères marins, est largement parasitée par les technologies humaines - échosondeurs, sonars, canons à air… D’abord utilisées dans un but militaire (localisation des sous-marins ennemis par exemple), ces technologies servent aujourd’hui principalement à l’exploitation des fonds marins (prospection des hydrocarbures notamment)
les émissions sonores liées à ces technologies déséquilibrent gravement l’écosystème marin. Ces signaux atteignent directement les organismes animaux, causent des lésions irréversibles (oreilles, vessies natatoires), provoquent des hémorragies internes, brouillent le repérage spatial - phénomènes qui peuvent aussi provoquer l’échouage des cétacés.
Par le prisme de sa voix, Violaine Lochu tente de rendre compte du partage territorial et des interconnexions complexes entre elles composantes de l’univers marin. Grâce à un dispositif d’amplification qui lui permet de spatialiser le son en deux qualité des enregistrements sous-marins, elle joue de la notion d’interférence… le vocabulaire qu’elle convoque met en résonance sons humains et non-humains - clic de cachalot, chant de baleine bleue, sifflement de dauphins…Elle crée une sorte d’opéra cyborg qui met en jeu le corps, l’espace, le son.
Sara Bichão
Je ne m’attendais pas à écrire, mais me voilà. Quatre jours se sont écoulés depuis mon arrivée et la manière dont je me sens m’est inconnue. Je ne pensas pas avoir jamais connu un tel mélange de pureté et de communion entre tous les éléments d’un même lieu.
Les êtres humains errent comme des moutons. Les rochers sont les bouches de l’île, ils ont déjà parlé à l’idée la plus ancienne que je puisse imaginer. la mer leur jette de l’air et les rochers (on m’a dit qu’on leur avait donné des noms mais il faut être marin de la côte pour en savoir plus) chantent tout le temps. Ils observent, bourdonnent et crient.
De la terre: racines, coquillages, excréments, fleurs, champignons, eau épine, pierres…et traces humaines. Tout est chamboulé car le climat est sauvage. Tel est le silence. Si je suis ici, il faut que j’en fasse partie, sinon je deviens malade.
Ouessant est une île que l’on peut parcourir en une journée mais l’ampleur des choses est écrasante. La salive des vagues est opaque et on dit que le vent rend fou. D’une source d’énergie essentiellement naturelle, le temps demande aux vivants est indéfini. Il semble que l’inflation n’ai pas atteint cette île. Reliée au ciel, elle a été conçue pour la Fin. Chaque jour, ne pas se précipiter du lever au coucher du soleil. Le phare est aux aguets et reste à la disposition des lointains. Il compte les secondes de la nuit pour nous endormir.
Tout le reste, c’est le crépuscule.
Une semaine s’est écoulée et je me sens au coeur du monde, du fait peut-être que je n’ai personne avec qui perdre mes repères. Nous sommes tellement habitués à flotter, à courir, mais nos pas ne dessinent pas un cercle complet. Je me demande alors, pendant que l’orage gronde, si cette agitation n’est pas comparable à tomber d’une falaise en tourbillonnant.
Je communique avec les pierres, les racines, les coquillages, les excréments, les fleurs, les champignons, l’eau, les épines, les autres animaux…et le dimanche, je déjeune au restaurant. J’ai l’occasion de pratiquer mon français et je répète tous les mots tout au long du voyage jusqu’à mon retour au phare. Jusqu’à la maison.
Les êtres humains sont un vestige et les oiseaux sont les plus heureux que j’aie jamais vus. Les moutons sont rusés, sûrs d’eux et prennent soin des leurs. Les chiens sont des chiens. Les chats sont des chats. Les poules sont des chiens et les chèvres des enfants.
L’indépendance de l’île est aussi une prison. L’autre jour, j’ai un vu un homme à l’intérieur de sa maison qui regardait dehors à l’aide de jumelles.
Je marche, je marche, je marche, je parle, je marche.
Je marche pour me libérer.
La tour dans laquelle je me loge est reliée, au phare situé à l’extrémité ouest de l’île, au sommet ouest de la France. Elle était autrefois habitée par des militaires…des yeux partout mais personne ne voit à l’intérieur. Seul le vent aujourd’hui, me hurle dessus du dernier étage.
les jours avancent, le soleil devient plus fort avec les lueurs d’avril. La résistance s’est adoucie. Parfois, ça sent le miel et le beurre.
Soleil rouge.
Soleil rouge.
le coucher du soleil était si rouge que mes pieds sont mis à nus par un granit présent depuis des temps immémoriaux. A huit heures du soir, un flux sanguin se dirige vers mes pupilles. Ce ne sera pas seulement les miennes. Quelle belle euphorie. Ce n’est pas vampirique parce que ça n’a pas l’intention de consommer, c’est comme un laser qui remplit les organes internes d’une rougeur électrique. Personne ne crache un mot, pas même les oiseaux pensifs qui me réveillent tous les jours à sept heures du matin et m’accompagnent jusqu’à ce que le ciel se divise en deux.
J’ai avec moi une bougie allumée, une lampe rouge, mon téléphone portable et un carnet rouge. Onze jours et douze nuits se sont écoulés. Seul le vent est capable de parler sans étonnement ni honte.
Je ne l’ai peut-être pas dit, mais il n’y a pas de voleurs ici. J’ai du mal à oublier ce qui est à moi et à savoir ce qui est à quelqu’un d’autre. De plus, les lapins sont des figures ailées. la poussière voltige et flotte, à l’image des papillons. La surface est comme un tissu organique rêvé pour marcher. Les patelles sur le dos sont des Vénus exposées…nous guident sur les chemins à suivre.
Il est 20 heures et ne pas regarder le soleil est une insulte. l’autre jour à la même heure, j’ai détecté un oiseau qui volait parallèlement à l’horizon, jusqu’à ce que je ne le voie plus. Je me tourne alors dans toutes les directions et le phare ne disparaît pas. Comme la lune. Ici, pas de place pour le sarcasme ou l’ironie: le corps fluctue au rythme d’une éclipse quotidienne. Dix-huit jours ont passé.
Percer la nuit à vélo (quand le vent me le permet)? Des sursauts d’espoir illuminent l’obscurité accablante. Les reliefs sont indistinctes, des faisceaux lumineux déséquilibrent l’horizon. Excédée, mon regard suit le mouvement des pédales et la trainée clignotante du phare. J’ai déjà essayé de filmer mais d’après ce que j’ai compris, les outils numériques sont interdits.
Il me reste environ une semaine avant mon départ. Je veux goûter à nouveau au plaisir de rire sans échos.
Un orage violent s’annonce et pour chasser l’angoisse, j’ai décidé d’aller me promener. Aujourd’hui, c’est comme ça, là où il y a de l’ombre, il n’y a pas de vent. Les jours deviennent comme des repas. La langue ne résonne plus et mes désirs changent. J’entrevois le bateau du premier jour.
Adieu.
EXPOSITIONS « TWIN ISLANDS»
Avec : Sara Bichão et Violaine Lochu
Commissariats des expositions : Marcel Dinahet & Ann Stouvenel (Finis terrae – Centre d’art insulaire) et Jesse James & Sofia Carolina Botelho (vaga – espaço de arte e conhecimento). En partenariat avec : Passerelle – Centre d’art à Brest (France) et Carpintarias de São Lázaro – Centro Cultural à Lisbonne (Portugal).
À Passerelle – Centre d’art contemporain à Brest, l’exposition est visible du 17 juin au 17 septembre 2022.
À Carpintarias de São Lázaro – Centro Cultural à Lisbonne, l’exposition est visible du 1er septembre au 2 octobre 2022.
Dans le cadre de La Saison France-Portugal 2022, par l’Institut français, avec le soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, du ministère de la Culture, du ministère de l’Économie et des Finances, du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’lnnovation, du ministère de la Transition écologique, du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, du ministère de la Mer, de l’Ambassade de France au Portugal et du réseau des Alliances françaises du Portugal. Commissaire générale pour la France : Victoire Di Rosa.
Avec le soutien de la Mairie d’Ouessant, du Conseil départemental du Finistère, du Conseil régional de Bretagne, de la DRAC Bretagne – ministère de la Culture et de l’Institut français à Paris.
VIDÉOS
“W Song”, Violaine Lochu
Extrait de la performance, 30 min, 2022 : https://www.youtube.com/watch?v=9fbrpweyevE
Images vidéos Marcel Dinahet, Yeonjae Han
Production IAC Villeurbanne, CAC Passerelle, Studio Eole, Saison croisée France/Portugal
Curators Finis terrae FR, Vaga PT
“Twin Islands”, Violaine Lochu
Extrait de la performance, 10 min30, 2022 : https://www.youtube.com/watch?v=CZVQd6VBbks
Images vidéos Makoto Friedmann
Costume Sara Bichão
Production CAC Passerelle, Saison croisée France/Portugal
Curators Finis terrae FR, Vaga PT
“Dance Signal”, Violaine Lochu
Extrait de la performance, 2022 : https://www.youtube.com/watch?v=bmFkIufZG4g
Images vidéos Makoto Friedmann
Costume Sara Bichão
Production CAC Passerelle, Saison croisée France/Portugal
Curators Finis terrae FR, Vaga PT
”-.-.—.-“, Violaine Lochu
Extrait de la vidéo, 4min30, 2022 : https://www.youtube.com/watch?v=a5vCkH6ghCU&t=2s
Production Saison Croisée France Portugal